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Stratégie PEP basse vs PEP élevée et nombre de jours sans ventilation chez des patients de réanimation sans SDRA

PEP basse vs PEP haute en réanimation

PEP basse vs PEP élevée et nombre de jours sans ventilation en réanimation

Commentaire de l'article : Effect of a Lower vs Higher Positive End-Expiratory Pressure Strategy on Ventilator-Free Days in ICU Patients Without ARDS - A Randomized Clinical Trial1. Algera et al. JAMA 2020.

Publié le 04 Février 2021 - Pierre GERVAIS (DESAR-CHU Rennes)

Titre de l'étude

L’effet d’une stratégie utilisant une pression expiratoire positive (PEP) basse vs une PEP élevée sur le nombre de jours sans ventilation chez des patients de réanimation sans SDRA : un essai randomisé.

Question évaluée

Chez les patients de réanimation recevant une ventilation invasive pour des raisons autres qu’un SDRA, est-ce que l’utilisation d’une PEP basse est non-inférieure à l’utilisation d’une PEP élevée sur le nombre de jours sans ventilation invasive à J28 ?

Contexte de l’étude dans la littérature médicale

La ventilation invasive, fréquente en réanimation, est une source importante de morbidité2. Le rôle protecteur de l’utilisation de petits volumes courants est reconnu, mais l’utilisation de niveaux de PEP élevés est plus incertaine. Or on observe une augmentation graduelle du niveau de PEP utilisé en réanimation ces dernières années pour des patients sans SDRA3, sans que la balance bénéfice-risque soit réellement définie dans cette population.

Dans la littérature, chez les patients sans SDRA une PEP plus élevée pourrait améliorer l’oxygénation4, prévenir l’apparition de SDRA et réduire les PAVM, mais le niveau de preuve est faible. Dans des modèles animaux des PEP élevées entrainent plus de lésions pulmonaires et des altérations hémodynamiques5-7.

Type d'étude

Étude prospective, contrôlée, randomisée, ouverte, de non-infériorité.

Population étudiée

Les patient inclus étaient les patients intubés juste avant ou juste après leur admission en réanimation, ayant une durée de ventilation invasive prévisible supérieure à 24h, dans 8 services de réanimation aux Pays-Bas du 26 octobre 2017 au 17 décembre 2019.

Étaient exclus : les patients en SDRA, intubés depuis plus de 12h avant leur admission en réanimation, de moins de 18 ans, les femmes enceintes, les BPCO GLOD III/IV, présentant une maladie pulmonaire restrictive, une HTIC, une ischémie cérébrale retardée, une SCA, une obésité morbide, une fasciite nécrosante, une anémie sévère, une maladie neurologique pouvant allonger le temps de ventilation mécanique, une intoxication au monoxyde de carbone, une ECMO.

Méthode de l’étude

  • Description du protocole

    Les auteurs ont randomisé les patients dans 2 bras :

    • dans le bras PEP basse les patients avaient au départ une PEP à 5 cmH2O et une FiO2 entre 21 et 60%, puis la PEP était titrée toutes les 15min jusqu’a 0 tant que la saturation restait supérieure à 92% et/ou la PaO2 supérieure à 60 mmHg. Si les patients désaturaient, la PEP était graduellement augmentée.
    • dans le bras PEP élevée les patients restaient à 8 de PEP durant toute la durée de la ventilation mécanique.
  • Critère de jugement principal

    Nombre de jours sans ventilation invasive à J28.

  • Critères de jugement secondaires
    • durée de séjour en réanimation et hospitalière;
    • mortalité en réanimation, hospitalière, à J28 et à J90;
    • durée de ventilation chez les survivants;
    • complications pulmonaires de la ventilation : développement de SDRA, PAVM, atélectasies sévères, hypoxies sévères, pneumothorax;
    • recours à des thérapies de sauvetage pour des hypoxies sévères ou des atélectasies sévères;
    • nombre de jours avec utilisation de sédation et de vasopresseurs.

Résultats essentiels

Du 26 octobre 2017 au 17 décembre 2019, 2869 patients ont été screenés, mais seuls 980 patients ont été randomisés (484 dans le groupe PEP basse, 496 dans le groupe PEP élevée). 1889 n’ont pas été inclus : la moitié présentaient des critères d’exclusion, 310 n’ont pas donné leur accord, les autres sont des inclusions manquées (sans précision des auteurs).

Les caractéristiques des patients étaient globalement similaires, mis à part pour la raison d’intubation : plus d’intubation pour arrêt cardiaque dans le groupe PEP élevée (28,8% vs 25,8%) et plus d’intubation prévue post-opératoire dans le groupe PEP basse (16,4% vs 12%).

Le temps médian entre intubation et la randomisation était de 0,6h. Les valeurs de PEP étaient significativement plus basses dans le groupe PEP restrictive. Les valeurs de P/F étaient significativement plus élevées dans le groupe PEP haute.

Concernant le critère de jugement principal : hypothèse de non infériorité validée. En moyenne 18 jours sans ventilation invasive dans le groupe PEP basse contre 17 pour le groupe PEP élevée.

Aucune différence statistiquement significative n’a été mise en évidence pour les critères de jugement secondaires. On observe tout de même plus de recours à des thérapies de sauvetage en cas d’hypoxémie ou d’atélectasie dans le groupe PEP basse par rapport au groupe PEP élevée (19,7% vs 14,6%).

Commentaires

  • Points forts de l’étude
    • plus grand essai clinique comparant différentes stratégies de PEP chez des patients sans SDRA.
    • minimisation des biais par l’allocation secrète, l’analyse en intention de traiter et l’élaboration d’un protocole strictement suivi.
    • peu de perdus de vue.
    • minimisation de l’effet carry-over par la randomisation moins de 1h après l’intubation.
    • patients inclus sur 2 ans, période où les recommandations n’ont pas changé.
  • Points faibles de l’étude
    • pas d’aveugle possible.
    • nombreux patients manqués à cause de problèmes de screening.
    • comparaison d’une stratégie qui ne reflète pas les pratiques actuelles en réanimation.
    • le critère de jugement principal mesure un paramètre ventilatoire, mais seuls 30% des patients inclus étaient intubés pour détresse respiratoire : difficile de conclure là-dessus. Pour les autres patients, ce n’est pas le niveau de PEP qui va jouer principalement sur la durée d’intubation.
    • nombreux critères d’exclusion.
    • les analyses des critères de jugement secondaires ne sont pas significatives, mais cela est biaisé par la multiplication des analyses et l’utilisation de méthodes correctives : on observe tout de même une tendance en défaveur du groupe PEP basse pour le recours à des thérapies de sauvetage.

Conclusion

Cette étude semble suggérer que l’utilisation d’une PEP basse est non-inférieure à l’utilisation d’une PEP élevée chez les patients de réanimation sans SDRA, au moins sur la durée de la ventilation. Cependant, les nombreuses limites de cette étude ne permettent pas d’utiliser en pratique courante la stratégie testée ici.

Bibliographie

  1. Algera et al. Effect of a Lower vs Higher Positive End-Expiratory Pressure Strategy on Ventilator-Free Days in ICU Patients Without ARDS : a Randomized Clinical Trial. JAMA 2020.
  2. Slutsky AS, Ranieri VM. Ventilator-induced lung injury. N Engl J Med. 2014.
  3. Peñuelas O, Muriel A, Abraira V, et al. Inter-country variability over time in the mortality of mechanically ventilated patients. Intensive Car Med. 2020.
  4. Serpa Neto A, Filho RR, Cherpanath T, et al. PROVE Network Investigators. Associations between positive end-expiratory pressure and outcome of patients without ARDS at onset of ventilation: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Ann Intensive Care. 2016.
  5. Vreugdenhil HA, Heijnen CJ, Plötz FB, et al. Mechanical ventilation of healthy rats suppresses peripheral immune function. Eur Respir J. 2004.
  6. Carvalho ARS, Jandre FC, Pino AV, et al. Effects of descending positive end-expiratory pressure on lung mechanics and aeration in healthy anaesthetized piglets. Crit Care. 2006.
  7. Villar J, Herrera-Abreu MT, Valladares F, et al. Experimental ventilator-induced lung injury: exacerbation by positive end-expiratory pressure. Anesthesiology. 2009.

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