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Association entre succinylcholine et complications pulmonaires post-opératoires

Succinylcholine et Complications Pulmonaires

Association entre succinylcholine et complications pulmonaires post-opératoires

Commentaire de l'article : Succinylcholine and postoperative pulmonary complications: a retrospective cohort study utilizing registry data from two hospital networks1. Schäfer et al. Br J Anaesth 2020.

Publié le 16 Décembre 2020 - Emile DAUREL (DESAR-CHU Rennes)

Titre de l'étude

Succinylcholine et complications pulmonaires post-opératoires : étude de cohorte rétrospective utilisant les données de registre de 2 réseaux d’hôpitaux.

Question évaluée

Quelle est l’association entre succinylcholine et complications pulmonaires post-opératoires ?

Contexte de l’étude dans la littérature médicale

Des centaines de millions d’interventions chirurgicales sont réalisées chaque année, impliquant une anesthésie générale et une ventilation mécanique. Dans la majorité des cas, l’intubation trachéale est facilitée par l’administration de curares.

Leur utilisation est associée à une augmentation du risque d’événements indésirables, tels que les complications pulmonaires postopératoires2 (CPPO) qui augmentent la morbi-mortalité et les frais de santé.

Le bloc neuromusculaire résiduel après extubation trachéale contribue à l’augmentation du risque de CPPO après l’utilisation de curares. Cependant, ces conclusions sont limitées aux curares non dépolarisants.3

La succinylcholine est administrée chez 20% des patients au bloc opératoire aux USA. D’une durée d’action plus courte, elle permet une récupération plus rapide du bloc neuromusculaire et pourrait donc réduire le risque de CPPO liées aux curares.

Type d'étude

Etude de cohorte rétrospective.

Population étudiée

Patients adultes, d’âge ≥ 18 ans, du Beth Israel Deaconess Medical Center et du Massachusetts General Hospital à Boston, entre janvier 2006 et décembre 2017, bénéficiant d’une chirurgie non cardiaque sous anesthésie générale avec intubation trachéale et extubation planifiée à la fin de l’acte.

Ont été exclus les patients avec un score ASA > 4 ou avec au moins une donnée manquante pour l’une des covariables (statut urgent, SPORC 2, IMC, score ASA, service de chirurgie, dose de néostigmine).

Méthode de l’étude

  • Description du protocole
  • A partir des bases de données des 2 hôpitaux américains, les auteurs ont mené 4 types d’analyses (primaires, secondaires, exploratoires et de robustesse/sensibilité). L’administration de succinylcholine ainsi que sa dose en mg.kg-1 ont été définies comme variables d’exposition primaire. Leur association aux CPPO a été testée dans un modèle de régression logistique multi-variée défini a priori. Les variables incluses étaient basées sur des modèles de prédiction de CPPO précédemment établis. La signification statistique était retenue si P < 0.05.

  • Critère de jugement

    Complications pulmonaires post-opératoires :

    • désaturation post-extubation < 90% dans le bloc opératoire dans les 10 minutes après l’extubation.
    • ré-intubation nécessitant une admission en unité de soins intensifs dans les 7 jours après la chirurgie.

Résultats essentiels

Sur 275 803 patients screenés, 244 850 ont été finalement inclus dans l’analyse après application des critères d’exclusion.

La succinylcholine a été administrée à 93 034 (38.0%) patients : dose médiane = 1.22 mg.kg-1 (IQR 1.03-1.46) et dose moyenne = 1.30 mg.kg-1 (SD 0.52).

3557 (1.5%) patients ont reçu > 2 mg.kg-1 de succinylcholine.

13 206 patients (5.4%) ont souffert de CPPO.

L’administration de succinylcholine était associée à une augmentation du risque de CPPO :

  • OR ajusté = 1.11 (IC 95%, 1.06 - 1.16; P < 0.001)
  • différence de risque ajustée = 0.51% (IC 95%, 0.30 - 0.73)
  • Number Needed to Harm = 196 patients

Cette association était dose-dépendante :

  • par mg.kg-1 de succinylcholine, OR ajusté> = 1.08 (IC 95%, 1.05 - 1.11; P < 0.001)
  • pour doses ≤ 2 mg.kg-1, OR ajusté = 1.09 (IC 95%, 1.05 - 1.14)
  • pour doses > 2 mg.kg-1, OR ajusté = 1.62 (IC 95%, 1.41 - 1.86)

Commentaires

  • Points forts de l’étude
    • Grande puissance : nombre important de patients inclus.
    • Résultats robustes : pas de modification de l’effet observé lors des 12 analyses de sensibilité (dont un score de propension).
  • Points faibles de l’étude
    • Etude limitée par sa nature observationnelle et rétrospective.
    • Critère de jugement principal non univoque : autres causes de désaturation dans la période post-opératoire immédiate ou de ré-intubation dans les 7 jours.
    • 14.2% des patients ont reçu de la succinylcholine seule, soit plus que 6 fois plus que les 2.3% observés dans l’étude européenne POPULAR2.

Conclusion

Cette étude suggère qu’il n’existe pas de diminution du risque de CPPO lors de l’utilisation de la succinylcholine en comparaison avec les curares non dépolarisants.

Son administration doit donc suivre des indications claires avec analyse approfondie de la balance bénéfice-risque (Recommandations SFAR 2018 : Curarisation et décurarisation en anesthésie) : induction séquence rapide et électroconvulsivothérapie. Il convient d’éviter les fortes doses de succinylcholine.

Enfin, une manière de quantifier la récupération du bloc neuromusculaire serait de mesurer et comparer à une valeur contrôle prise avant injection de succinylcholine la hauteur de contraction puisqu’il n’existe pas de fatigabilité au train de 4 lors de son utilisation.

Bibliographie

  1. Schäfer MS, Hammer M, Santer P, et al. Succinylcholine and postoperative pulmonary complications: a retrospective cohort study utilizing registry data from two hospital networks. Br J Anaesth 2020.
  2. Kirmeier E, Eriksson LI, Lewald H, et al. Post-anaesthesia pulmonary complications after use of muscle relaxants (POPULAR): a multicentre, prospective observational study. Lancet Respir Med 2019.
  3. Grabitz SD, Rajaratnam N, Chhagani K, et al. The effects of postoperative residual neuromuscular blockade on hospital costs and intensive care unit admission: a population-based cohort study. Anesth Analg 2019.

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